㬢 Contes à mes petites amies
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Title: Contes à mes petites amies
Author: J. N. Bouilly
Release Date: May 3, 2004 [EBook #12251]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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J. N. BOUILLY
CONTES
A MES PETITES AMIES
éDITION REVUE
PAR E. DU CHATENET.
LE PèRE DANIEL
C'est une grande erreur et souvent une grand injustice, que de juger des personnes qu'on rencontre dans le monde de d'après leur extérieur. L'être le plus obscur, le plus disgracié de la nature, cache quelquefois, sous des vêtements grossiers et des difformités ridicules, les qualités les plus rares, que ne possèdent pas ceux-là mêmes qui l'accablent de leurs mépris.
Amélie Dorval habitait, une grande partie de l'année, la jolie terre de la Plaine, située à une lieue et demie de la ville de Tours, sur les délicieux bords de la Loire. Fille unique de la plus tendre mère occupée constamment à diriger son éducation, elle en avait déjà la grace, l'aménité. Elle était bonne, affable pour tout le monde. Jamais elle ne dédaignait le pauvre qui venait réclamer assistance, ni aucun des gens attachés à son service. On la voyait jouer avec les enfants des jardiniers, avec les petits voisins fils d'agriculteurs ou d'honnêtes ouvriers, sans jamais leur faire sentir qu'ils étaient d'une classe inférieure à la sienne. Elle avait appris de son excellente mère que Dieu dispense, à son gré, les faveurs du rang et de la fortune, et que, tous égaux aux yeux du Créateur, nous ne nous faisons estimer et chérir que par l'élévation de notre ame et la délicatesse de nos sentiments.
Aussi la jeune Amélie était-elle aimée, considérée de tout le petit peuple qui l'entourait, et pour lequel on la voyait toujours être la même. C'était à qui lui offrirait les meilleurs fruits des vergers, les plus belles fleurs des jardins. Découvrait-on dans le parc un nid de chardonnerets, de linottes, de tourterelles, aussit?t il lui était indiqué. Parvenait-on, en fauchant les fertiles prairies qu'arrose la Loire, à prendre des cailles, de petits lapins, déjà vigoureux à la course, tout était offert à la bonne Amélie. Elle avait formé une espèce de ménagerie de tous les dons qu'elle avait re?us.
Parmi les personnes attachées au service de madame Dorval était un pauvre vieillard infirme appelé Daniel. A force de bêcher la terre depuis quatre-vingts ans, il avait le dos vo?té; sa tête, où il ne restait plus que quelques cheveux blancs échappés à l'ardeur du soleil, était penchée vers ses pieds couverts de durillons, qui ralentissaient encore sa marche vacillante. Ses pauvres jambes, affaiblies par la fatigue et par l'age, supportaient, non sans effort, son corps décharné, et ses mains tremblantes soutenaient à peine le baton noueux sur lequel il s'appuyait. Toutefois il n'avait aucune autre infirmité. On le rencontrait toujours gai, travaillant autant que ses forces pouvaient le permettre, et chevrotant la vieille chanson du pays.
Trop fier, quoique pauvre, pour être à charge à ses ma?tres, il savait encore se rendre utile, soit en arrachant les herbes parasites qui croissaient dans le parterre, soit en ratissant les principales allées des bosquets, émondant les arbrisseaux les plus rares, et portant un arrosoir à moitié plein, pour rafra?chir les rosiers de toutes espèces et les plantes étrangères que réunissait ce jardin particulier d'Amélie. C'était son occupation chérie; il n'était jamais plus heureux que lorsqu'il entendait sa jeune ma?tresse, qu'il appelait toujours la _p'tite mam'zelle_, dire à ceux qui s'étonnaient de l'admirable tenue de son jardin: ?C'est l'ouvrage du père Daniel.? On la nommait ainsi dans toute la contrée, où l'on admirait son aptitude au travail, sa gaieté franche et son heureux naturel. Tous les jeunes patres le saluaient avec respect: chacun d'eux ambitionnait un sourire, un serrement de main du père Daniel. Tant il est vrai que la vieillesse imprime partout un respect qui est indépendant des vertus dont elle offre l'exemple.
On con?oit que ce digne vieillard avait un grand attachement pour la p'tite mam'zelle, qu'il avait vue na?tre, dont il avait servi le père et le grand-père. Jamais il ne passait devant elle sans lui ?ter son chapeau rapiécé, sans lui offrir le bonjour le plus affectueux. Amélie, de son c?té, portait au père Daniel le plus tendre intérêt. Elle s'informait toujours si rien ne lui manquait, et souvent elle le conduisait elle-même à l'office, où elle lui versait une rasade
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